Exposition du 29 juin au 14 octobre
L’exposition conçue par l’artiste Vincent Barré peut être vue comme une mise en scène de son errance et de sa solitude dans le musée. Les collections lui adressent des signes de connivence et d’amitié qui provoquent le désir de production de formes. L’origine est proche n’est pas une rétrospective mais synthétise à l’aune de pièces récentes le fractionnement et la dispersion des années écoulées, elles sont vécues et revisitées par l’artiste. De l’architecture à la sculpture, puis à l’enseignement, d’un atelier de ville à l’autre en campagne, du rythme des saisons, des dérives au jardin, des marches solitaires, du dessin au film, ces formes font le lien et donnent la respiration de l’ensemble.
La thématique qui se déploie au travers de sculptures en fonte d’aluminium, fonte de fer, bronzes à modèles perdus et de grands dessins noirs, est celle du corps fragmenté. C’est une évocation du temps qui passe et qui détruit, elle évoque la violence faite aux corps de civils toujours plus vulnérables ou aux représentations. Le projet est né de la découverte par Vincent Barré d’un pied et de mains de momie, exemples même de la brutalité des pilleurs de tombes qui arrachent et découpent. La profanation est sans doute à l’origine de la sculpture. D’autres objets conservés dans les collections archéologiques sont venus compléter cette étrange parure : miroirs, épingles et colliers, verres ayant touché les lèvres. En vis-à-vis de ces fragments de corps, à l’autre bout de la salle, les sculptures en bronze de la série des ex voto, par le seul fait de leur morcellement, ces fragments prennent un caractère monumental. Jambes et avant-bras, ventres et fesses, pubis et têtes forment un peuple d’orants qui implorent une protection ou remercient d’un don.
Les œuvres oscillent du tout petit au très grand, à l’exemple de Couronne, à Jean Fouquet installée de manière permanente en hommage à une peinture de la renaissance française. La fascination du corps, l’interdit qui castre l’esprit deviennent prétexte à une divagation érotique et imaginaire. Posé au sol dans un mouvement circulaire qui rappelle celui de la couronne, un ensemble de sculptures en grès enfumé, de caractère impulsif et « primitif », aux connotations sexuelles de cavités ou de protubérances éclairent les liens que la sculpture contemporaine, depuis l’antiforme, nourrit avec l’univers des chasseurs, cueilleurs et chamans. Quelques pièces plus anciennes telles la série des Parques ou des Laocoon ont naturellement trouvé leur place au Musée du Temps. Les torsions du bronze ou les assemblages réinvestissent complètement l’univers mythologique, trophées des temps reculés et effroyables.
Le désert et la marche sont consubstantiels à l’œuvre de Vincent Barré. Dans la marche, Gustave Roud, Robert Walser, Thoreau ont remarqué que l’esprit est annihilé par l’effort, par le rythme régulier, par la durée, et parfois par l’aridité du milieu. Vincent Barré y puise aussi une forme d’inspiration ; pour en comprendre les ressorts il suffit de se laisser porter par ses courts métrages ou ses longs métrages. « Ce n’est que par bribes que des images, écrit-il, des pensées viennent à la conscience. Elles sont divagantes et lancinantes, fragmentées pour prendre comme dans le rêve des proportions massives et obsédantes ». La solitude ainsi dramatisée place le regardeur ou le visiteur dans la position d’un être luttant contre les éléments si bien définis par Gaston Bachelard (l’air, la terre et le feu). La marche est également une image conventionnelle et une mise en scène de la concentration nécessaire à la création.
L’exposition est complétée par la présentation de carnets de croquis et d’études. Depuis presque une cinquantaine d’années, ils témoignant de ce que le regard de l’artiste doit à l’histoire, aux musées, à ses voyages et à ses rencontres. Ce contenu à la fois distancié et au contact immédiat des œuvres se poursuit et s’approfondit dans les films réalisés par Vincent Barré lui-même ou Pierre Creton.
Dans ce deuxième volet de l’exposition L’origine est proche, les formes créées par Vincent Barré au fil de sa longue production, viennent habiter un temps le musée du Temps.
Solitaires et hiératiques, elles semblent héritées d’ancêtres obscurs. Des Parques (1982) aux Doigts de Bouddha (2007), toutes trouvent naturellement leur place au musée, elles réinvestissent l’univers mythologique. À travers les torsions de bronze notamment du Laocoon VII, les grès ou les assemblages, l’artiste témoigne de son « besoin de prendre pied dans le fond des âges, de ce qui est à l’origine du côté brut de la matière, de la vision, de la possession ». Le temps semble sortir de ses gonds et vouloir resurgir en partie méconnaissable du passé. Cette importance de la représentation du temps n’a pas échappé à Claire Stoullig, elle écrit à propos de Vincent Barré : « Que l’on découvre les sculptures de Vincent Barré dans le silence de l‘atelier, l’œil paraît s’entretenir avec quelque forme perdue dont l’origine pourrait être plus lointaine que son propre passé, laissant resurgir une image quelque part enfouie, interdite, en-deçà de son expérience visuelle, image qui aurait échappé aux Divinités du Destin ».