Une inspiration corbuséenne à Besançon
En 1963, George et Adèle Besson déposent au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie plus de 300 œuvres de leur prestigieuse collection, en contre partie les donateurs exigent des conditions d’exposition à la hauteur de leur présent. Un réaménagement du musée est privilégié. Le choix de l’architecte se porte sur Le Corbusier, connu des Francs-Comtois pour la chapelle Notre-Dame-Du-Haut à Ronchamp (1955), mais il est également l’une des rares personnalités à avoir mené un travail de réflexion profond sur les musées, initié vers 1929-1930 : c’est le principe du musée à croissance illimitée. Malheureusement, celui-ci décline la proposition en raison d’engagements antérieurs. La Ville de Besançon demande alors que son suppléant soit l’un de ses disciples. Après le refus d’André Wogenscky, c’est finalement Louis Miquel qui sera retenu.
Le projet est mis au point après la première visite à Besançon en 1964, le chantier s’ouvre en 1967 et se termine en 1970. La partie centrale, construite entièrement dans un espace vide et carré, est techniquement indépendante de l’édifice ancien, auquel elle se rattache par des passerelles. Les matériaux choisis sont le béton brut de décoffrage pour les murs, une céramique noire pour les sols. L’éclairage, naturel et zénithal dans la partie supérieure, est artificiel ailleurs. L’ensemble est conçu comme une spirale carrée irrégulière, ascendante par une succession de plans inclinés scandés de paliers, prenant leur origine au centre du rez-de-chaussée. Louis Miquel relate ainsi comment cette solution lui est venue à l’esprit:
« Le problème était de créer de nouvelles surfaces d’exposition, mais aussi, à mon avis, de faciliter l’accès à l’étage et même d’essayer d’assurer une sorte de continuité entre les niveaux, les escaliers étant au contraire une rupture. Ce fut ainsi que j’eus l’idée du jeu de rampes. Je m’aperçus alors qu’en divisant la hauteur entre le rez-de-chaussée et le premier étage en trois parties égales, j’obtenais une hauteur de deux mètres et quelques dizaines de centimètres, un peu juste, mais suffisante pour la hauteur d’un niveau. Celle-ci, subdivisée elle-même par deux, me donnait, avec une pente de dix pour cent, la longueur de la volée de rampe. Cette longueur de volée constituait alors pour moi, le module de base de la composition, de la sorte de «sculpture visitable » que j’imaginais pour l’aménagement de la partie centrale du musée. Je la conçus comme une structure totalement indépendante de celle du bâtiment existant et ne s’y rattachant, à libre dilatation, qu’aux points nécessaires pour les circulations. Je présentai cet avant-projet, sous forme d’un grand cahier de plans et croquis perspectifs et d’une maquette grossière de la partie centrale. »
A l’étage, les ouvertures de façade ont été occultées, et les salles du pourtour pourvues de « paralumes » en aluminium anodisé destinées à diffuser la lumière. Le sous-sol, protégé par un cuvelage de béton étanche, est partiellement utilisé par une petite salle destinée aux expositions temporaires et aux conférences et par des locaux techniques. L’utilisation du béton, matière extrêmement vivante qui enlève toute neutralité à l‘espace, le choix du noir pour le sol et les rambardes, l’absence totale de volume modulable , contribuent à affirmer le rôle prééminent de l’architecture. La vue que, depuis la partie centrale du rez-de-chaussée, l’on a sur le déroulement de la spirale est destinée à inciter le visiteur à monter. Tout semble un labyrinthe du fait de l’irrégularité du parcours, de l’interpénétration des espaces, et de l’ouverture des volumes sur l’intérieur, mais cela n’est qu’apparence, puisqu’un seul cheminement est possible. Le visiteur est ainsi totalement pris en charge par l’architecture. L’effet de cheminée ressenti depuis le centre du rez-de-chaussée donne bien l’idée de montée, et la vue que l’on y a des rampes est un équivalent plastique du cheminement ascensionnel. La fermeture sur l’extérieur, compensée par l’ouverture sur l’intérieur (cf. le Musée Guggenheim à New-York), permet des points de vue différents sur un certain nombre d’emplacements, tout à fait privilégiés, alors que d’autres ne permettent guère l’arrêt. Ainsi, le problème de la mobilité du visiteur a été résolu, alors que celui de l’architecture n’est pas envisagé.
Tout concourt à ce que, arrivant au pied de la spirale, l’on se sente conditionné au recueillement : l’éclairage artificiel limité, orienté, le parcours obligé, la sévérité du béton et du sol, le mystère apparent du circuit de visite. On peut supposer que l’expérience théâtrale de Louis Miquel lui a servi dans cette manière de penser le rapport entre le visiteur et l’espace. D’autre part la succession des plans inclinés, en alternance avec des paliers, oblige à abandonner la traditionnelle conception de l’accrochage en référence à l’horizontale des sols. Le parcours dans le Musée de Besançon est donc vécu tout à fait autrement que dans les autres musée. Déchargé du souci de l’orientation dans le bâtiment, on peut se consacrer uniquement à la perception des rythmes architecturaux variés et à celle des objets exposés. Les plans qui s’interpénètrent sont des stimulants permanents à la découverte.
Cependant, alors que le choix de la spirale incite immédiatement au rapprochement avec le « Musée à Croissance Illimitée » de Le Corbusier et que sans doute, au départ, il s’agissait pour Miquel d’un approfondissement de l’idée de circuit de visite exprimé dans le projet de Mundaneum, il est clair que la réalisation aboutit à un résultat tout à fait différent : l’architecture ici n’est pas neutre, sa fonction prend un caractère sacré tout à fait étonnant, concrétisé par l’aspiration vers le haut des rampes successives.
L’impossibilité matérielle d’envisager une ultérieure extension architecturale empêchait Louis Miquel d’appliquer les idées de Le Corbusier dans leur totalité et l’obligeait à pousser sa réflexion dans une autre direction ; il a réussi à substituer au concept concret de « croissance illimitée » la notion abstraite d’élévation, rendue sensible au visiteur au moyen du parcours obligé à l’intérieur du bâtiment.
Cette réalisation, exceptionnelle par son originalité, par l’affirmation du parti pris d’une architecture-sculpture qui impose sa présence et donne à tout l’édifice sa personnalité, a beaucoup contribué à établir la réputation de l’architecte, qui par la suite, a été sollicité pour résoudre des problèmes comparables.